Ravageurs exotiques envahissants et changement climatique: augmentation de l’aptitude climatique et de la disponibilité des plantes hôtes

Une étude s’est penchée sur la propagation d’insectes exotiques nuisibles, potentiellement envahissants, dans les conditions climatiques actuelles et futures. Elle concerne 64 espèces d’insectes nuisibles pour l’agriculture, figurant sur la liste des organismes de quarantaine de l’Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (OEPP) (Grünig et al., 2020a). Des modèles de distribution ont été utilisés pour les calculs («Species Distribution Models», SDMs (Guisan & Zimmermann, 2000)). Selon ces modèles, les aires de distribution potentielle en Europe de nombre de ces organismes se sont considérablement étendues. L’étude de Grünig et al. (2020a) montre qu’il règne aujourd’hui déjà un climat favorable pour beaucoup d’espèces envahissantes, en particulier dans les régions du sud et de l’ouest de l’Europe. Avec la hausse des températures, les aires de distribution potentielle des insectes nuisibles en Europe s’étendent vers le nord-est. Selon les modèles, 30 des espèces étudiées trouveraient aujourd’hui déjà des conditions favorables en Suisse, et 12 autres viendraient s’y ajouter d’ici la fin du siècle. Avec le temps, les aires de distribution des espèces étudiées s’étendront également en altitude (fig. 1).

NCCS_Eignung_Abb1
Figure 1: Nombre d’espèces sur les 64 espèces d’insectes exotiques nuisibles qui, selon les modèles, trouveront un climat propice en Suisse. Les couleurs plus foncées indiquent les zones où le climat est propice au plus grand nombre d’insectes nuisibles. Les simulations se basent sur les données CHELSA. Celles-ci reposent sur les mêmes chaînes de modèles climatiques, à l’échelle mondiale et régionale, que les données CH2018. Les modèles ont été projetés pour toute l’Europe et sont disponibles à une résolution de 5 x 5 km.

Cependant, l’apparition de nouveaux insectes nuisibles ne dépend pas seulement des conditions climatiques, mais également de la disponibilité des plantes hôtes (Bacon et al., 2012). C’est pourquoi des SDMs ont également été élaborés pour 96 plantes cultivées qui servent de plantes hôtes aux insectes étudiés. Ces modèles montrent qu’avec le changement climatique, les aires de distribution potentielle des plantes cultivées s’étendent également vers le nord. À l’avenir, cela ouvrira donc de nouvelles possibilités à la culture de plantes économiquement intéressantes, peu cultivées actuellement ou seulement comme produits de niche. La Suisse profitera également de cette tendance. Sur les 96 plantes étudiées, 57 trouvent aujourd’hui un climat adapté en Suisse et, d’ici la fin du siècle, 15 nouvelles viendront s’y ajouter. Le changement climatique entraînera également une extension en altitude des aires favorables aux plantes hôtes (fig. 2). 

NCCS_Eignung_Abb2
Figure 2: Nombre d’espèces sur les 96 plantes cultivées modélisées qui trouveront un climat propice en Suisse. Les couleurs plus foncées indiquent les zones où le climat est propice au plus grand nombre de plantes cultivées.

Toutefois, ces nouvelles plantes cultivées pourraient signifier l’apparition de nouveaux insectes nuisibles. Comme le montre une analyse de réseau réalisée par Grünig et al. (2020a) (fig. 3), les chevauchements entre insectes nuisibles et plantes hôtes augmentent avec le changement climatique. Les zones dans lesquelles les insectes sont susceptibles de rencontrer leurs plantes hôtes présentent un risque élevé d’invasion. On a démontré, en tenant compte des scénarios climatiques, que la superficie des zones où ces chevauchements sont possibles, s’accroît également. Cela signifie que les zones présentant un plus grand risque d’invasion vont en augmentant. L’analyse de réseau montre que pour les différentes régions de Suisse, le nombre d’interactions possibles pourrait passer de 121 aujourd’hui, à 204 en 2100. Les Alpes seraient particulièrement touchées, puisqu’elles pourraient enregistrer jusqu’à 102 nouvelles interactions d’ici 2100.

NCCS_Eignung_Abb3
Figure 3: Analyse de réseau des différentes régions de Suisse; A: toute la Suisse, B: Alpes, C: versant sud des Alpes, D: Jura, E: Plateau, F: Préalpes. Les résultats présentés se basent sur les scénarios d’émissions RCP8.5.

Augmentation rapide de la pression des ravageurs en cas de dépassement du 0C durant le mois le plus froid de l’année

Dans une deuxième étude, Grünig et al. (2020b) ont étudié les niches climatiques d’organismes de quarantaine et d’insectes nuisibles déjà établis localement. Les niches ont été définies sur la base de la température minimale du mois le plus froid. Les insectes sont des organismes ectothermes et dépendent donc de la température extérieure. La température minimale est par conséquent particulièrement importante pour leur survie hivernale. Les résultats montrent que les niches climatiques ne sont pas uniformément réparties le long du gradient de température, mais qu’elles forment deux groupes: on trouve d’un côté les espèces qui passent par une diapause pour survivre à l’hiver; de l’autre, celles qui ne disposent pas de stratégies d’hivernage. En termes de température minimale du mois le plus froid, la limite supérieure pour le premier groupe est de -6°C, tandis que la limite inférieure pour le deuxième groupe est de 0°C. La plupart des espèces de ce deuxième groupe ne se rencontrent que dans le sud de l’Europe et dans les pays d’Europe occidentale sous influence maritime, ou ne sont pas encore établies en Europe. Elles n’apparaissent pratiquement jamais en Suisse, car des périodes de froid plus longues prévalent généralement en hiver, et la moyenne mensuelle des températures y est inférieure à 0°. À l’avenir, les températures dépasseront toutefois ce seuil de 0°C, notamment dans les régions de basse altitude, comme le Plateau et le Tessin. Cela signifie que de nouvelles espèces d’insectes pourront s’établir dans ces régions et qu’il faut donc s’attendre à une augmentation rapide de la pression des ravageurs (fig. 4).

NCCS_Eignung_Abb4
Figure 4: Répartition des températures minimales moyennes du mois le plus froid (en bleu) et de l’aire de distribution potentielle (en rouge) des espèces d’insectes nuisibles qui ne peuvent survivre qu’à des températures minimales du mois le plus froid supérieures à 0°C. À gauche, situation actuelle (2020); au centre: situation vers le milieu du siècle (2050), en supposant une augmentation supplémentaire de la température de 1.5°C; à droite: situation vers 2070.

Informations complémentaires

Bibliographie

Bacon, S. J., Aebi, A., Calanca, P., & Bacher, S. (2014). Quarantine arthropod invasions in Europe: the role of climate, hosts and propagule pressure. Diversity and distributions, 20(1), 84-94. https://doi.org/10.1111/ddi.12149

Grünig, M., Mazzi, D., Calanca, P., Karger, D. N., & Pellissier, L. (2020). Crop and forest pest metawebs shift towards increased linkage and suitability overlap under climate change. Communications biology, 3(1), 1-10. https://doi.org/10.1038/s42003-020-0962-9

Grünig, M., Calanca, P., Mazzi, D., & Pellissier, L. (2020). Inflection point in climatic suitability of insect pest species in Europe suggests non‐linear responses to climate change. Global Change Biology. https://doi.org/10.1111/gcb.15313

Guisan, A., & Zimmermann, N. E. (2000). Predictive habitat distribution models in ecology. Ecological modelling, 135(2-3), 147-186. https://doi.org/10.1016/S0304-3800(00)00354-9

Dernière modification 16.12.2020

Début de la page

Contact

Agroscope
Agroécologie et environnement
Groupe Climat et agriculture

Pierluigi Calanca

Agroscope
Protection des végétaux
Groupe Phytopathologie et zoologie, arboriculture et cultures maraîchères

Dominique Mazzi

EPF Zürich
Landscape Ecology

Loic Pellissier

Imprimer contact

https://www.nccs.admin.ch/content/nccs/fr/home/secteurs/agriculture/theme-prioritaire-organismes-nuisibles/ravageurs-exotiques-aptitude-climatique.html